1619, avant même la célèbre arrivée des pèlerins européens du Mayflower sur les terres des futurs Etats-Unis,
le premier navire chargé d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés aux pays des côtes ouest du continent africain, débarque en Virginie. Les premiers colons britanniques sont arrivés quelques années auparavant. La Virginie est à l’époque la première colonie britannique établie sur le territoire, parmi les treize qui fonderont les Etats-Unis. Cette colonie est établie dans le sud, territoire à dominante agricole, dans lequel sont cultivés l’indigo, le riz, le tabac, et plus tard le coton. La servilité est alors un moyen économique d’enrichir les propriétaires de plantations dans tout le Sud (1).
Contrairement à de nombreux flux migratoires initiés par les peuples eux-mêmes, les peuples des pays de la côte ouest africaine et de l’Afrique Centrale ont été déracinés, enlevés de leurs terres natales (2). Les raisons pour lesquelles des peuples ont quitté (et quittent toujours à l’heure actuelle) leur pays d’origine sont généralement d’ordre conjoncturel : raisons économiques, politiques (bientôt climatiques). Dans le cas des afro-américains, ces peuples ont été volés à leurs terres. Les européens sont allés se servir en “matière humaine» – paradoxe lorsque l’on sait que les blancs ne considéraient pas les Noirs comme des hommes (au sens homo-sapiens).
Nous oublions trop vite les conditions dans lesquelles la traite négrière s’effectuait. Des rafles étaient organisées dans les villages d’Afrique afin de faire prisonniers hommes, femmes et enfants. Les familles étaient souvent séparées dès leur emprisonnement sur le continent africain, les prisonniers enchaînés et attachés par groupe. Ils étaient échangés contre les cargaisons de navires chargés d’objets divers sans valeur, puis entassés dans les cales pour le voyage. Les taux de mortalité étaient d’une moyenne de 13% sur les quatre siècles de traite (3). Entre le XVIe siècle et jusqu’à la fin du XIXe siècle, période de la traite, 388.744 Africains asservis sont arrivés en Amérique du Nord (4).
Le Statut des Noirs à leur arrivée dans les colonies
Il semblerait que les premiers africains débarqués à Jamestown en Virginie, aient été une vingtaine, préalablement baptisés par les Espagnols avant leur départ d’Afrique. Or, à l’époque, le droit anglais ne permet pas qu’un baptisé soit mis en esclavage. Ces hommes deviendront donc « travailleurs sous contrat » , certains retrouvant même leur liberté et devenant propriétaires de terres. Mais, rapidement, les colons vont s’engouffrer dans un vide juridique, puisque la loi anglaise spécifie que les déportés africains n’étaient pas citoyens britanniques de par leur sol de naissance, et qu’ils ne sont donc pas nécessairement couverts par cette même loi. Alors qu’ils continuent à affluer dans toutes les colonies, l’esclavage est attesté dans les constitutions du Maryland et de la Caroline en 1640. En 1700, l’esclavage est une réalité dans le Sud avec l’établissement des « codes noirs » (5) : ces codes faisaient des Noirs des esclaves à vie et de façon héréditaire.
Toutefois, la condition des Noirs au Nord est différente : les maîtres les considèrent comme les alter ego des travailleurs sous contrat et, à ce titre, les libèrent quand ils estiment qu’ils ont, de par leur travail, remboursé leur prix d’achat. Les esclaves sont peu nombreux au Nord. Ils ont la possibilité d’apprendre l’anglais, et de participer aux cérémonies religieuses protestantes. Ils ont donc accès à une certaine instruction, éducation et socialisation.
Au Sud, la condition des Noirs est inhumaine : ils ne sont que pure marchandise, appartiennent à un maître et sont sous ses ordres. L’instruction leur est refusée. La terreur, la violence et les châtiments corporels sont quotidiennement utilisés afin d’optimiser les rendements de travail dans les plantations, ainsi que pour contenir la soumission et éviter les risques d’évasions et de révoltes. De plus, l’extension du territoire, la création de nouveaux états et donc l’expansion des plantations augmentent les besoins en main-d’oeuvre servile.
Notes et Références bibliographiques
(1) Les treize premières colonies britanniques qui ont fondées les états-sont composées des états actuels suivants : Virginie (1607), Massachusetts (1620), New Hampshire (1623), Maryland (1632), Connecticut (1635), Rhode Island (1636), Caroline du Nord (1653), Delaware (1664), Caroline du Sud (1663), New Jersey (1664), New York (auparavant Nouvelle Amsterdam et renommé en 1664), Pennsylvanie (1681), Géorgie (1732).
(2) 90 % des déportés africains venaient des régions suivantes : Sénégambie (Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau et le Mali, La Sierra Leone, La Guinée, le Ghana, l’Est du Nigéria, le Cameroun, l’Afrique Centrale de l’Ouest (Angola, Congo, République Démocratique du Congo, Gabon). Sources : California African American Museum de Los Angeles, visite du 3 décembre 2015.
(3) Anne Gaugue, Les états africains et leurs musées : La mise en scène de la nation, L’Harmattan, 1997, p. 50
(4) Article de Jamelle Bouie, 27 juin 2015 sur le site http://www.fr/story/103551/escalave-infographie. Une carte interactive élaborée par Andrew Kahn, résume la traite négrière transatlantique.
(5) Les «codes noirs» privaient les Noirs de leurs droits. Le interdictions et restrictions se succèderont pour les Noirs entre 1830 et 1860 , Après la guerre de Sécession (1861-1865), de nouveaux codes noirs seront établis et varieront selon les états. Le XIVe amendement de la Constitution américaine, voté en 1868, les rendra illégaux.
La musique et l’homme
« Suprême mystère des sciences de l’Homme » selon Claude Lévi-Strauss, la musique existe probablement depuis la naissance de l’humanité (6). Elle est un symbole d’humanité au sens être humain différencié des animaux. La musique, qui permet aux individus de partager, de communiquer, de transmettre des émotions, des messages, est présente dès les premières civilisations. Dans l’article de l’anthropologue et journaliste Régis Meyran « Tant qu’il y aura des humains » (7), on apprend qu’il y a – 40 000 ans, l’Eurasie était habitée par des hommes de Neandertal et des Homo sapiens qui avaient la capacité de développer de la musique et du langage. Des flûtes en ivoire de mammouth ont été retrouvées datant du paléolithique supérieur. Les plus anciens instruments retrouvés en Europe (sifflets ou flûtes en os et en ivoire) proviennent d’Allemagne. On ne sait pas dans quel contexte est née la musique : était-ce un contexte de rituels, un contexte religieux, thérapeutique, festif ? C’est un mystère, mais chaque domaine a contribué à sa mise en place. Comme l’explique Régis Meyran,
« au fil de l’histoire humaine, les musiques préhistoriques se sont transformées. […L’] histoire est difficile à reconstituer, la musique se transmettant oralement et ne laissant quasiment aucune trace. Le cas du monde occidental est particulier : à côté des musiques populaires […], s’est en effet développée une musique savante, au départ religieuse (plain-chant, chant grégorien, musique renaissante, baroque), puis laïque (classique, romantique, contemporaine). L’invention dès le IXe siècle d’un système de notation musicale, puis de la portée moderne et plus tardivement de l’enregistrement sonore permet de retracer précisément son histoire ».
Les premiers enregistrements ont eu lieu dès 1853, mais le premier enregistrement connu date de 1860 (8).
Comme nous le verrons au fil des articles, la musique afro-américaine se nourrit de toutes ces traditions.
(6) Emmanuel Désveaux, « Claude Lévi-Strauss, Œuvres », L’Homme [En ligne], 190 | 2009, mis en ligne le 25 mai 2009, consulté le 22 février 2016. URL : http://lhomme.revues.org/21262 p. 3.
(7) « Tant qu’il y aura des humains », article de Régis Meyran, publié dans Les Dossiers d’Alternatives Economiques, Hors-série n°2 Bis – décembre 2015. p. 95-97